Photographe
Les photos de ce triptyque sont prises avec le folding Zeiss acheté en 1937 par mon grand père pour la
naissance de ma mère. L’appareil se charge avec des rouleaux de film « 120 », qu’il faut embobiner
manuellement en faisant coïncider les n° de vue inscrits sur le dos du film avec une petite fenêtre
ronde en verre rouge inactinique. Il permet alors de prendre 9 photos. Il faut embobiner le film après chaque
prise de vue. Contrairement aux appareils plus récents, aucun dispositif n’oblige à le faire. Rien ne
force non plus à déclencher après avoir embobiné. L’accident arrive facilement : c’est la
surimpression de deux vues. Ou la vue vierge d’impression.
La mémoire photographique bégaie ou s’efface, sur-expose ou occulte, se dédouble, perd ses
certitudes. Cela a-t-il été ? L’ai-je fait ?
Les deux photos sont prises dans le jardin de mes parents. L’homme qui ramasse les feuilles est
mon père. Il a été victime de 3 AVC (Accident Vasculaire Cérébral). Le premier a touché les centres
mémoriels de l’hémisphère droit. Le second les centres mémoriels de l’hémisphère gauche.
Depuis ce moment, il présente des symptômes similaires à ceux de la maladie d’Alzheimer. Le
troisième en 2014 l’a privé de l’usage de son oeil gauche. Les photos sont prises entre son 2eme
et son 3eme AVC. Pour les médecins, la question n’est pas de savoir s’il fera un 4eme AVC mais
quand. La sur-impression photographique sur la 2eme photo est accidentelle. Sur le même film, il
y a une vue vierge.
La série interroge les questions de la transmission, de la mémoire, de la fin de vie.
___________________________________________________________________
Ce texte a été écrit le 15 Novembre 2014, en vue de l’exposition « Photographes intranquilles« .
Mon père est décédé le 8 Janvier 2015.