Juillet 2015. Je rentre à Lyon après mon pèlerinage annuel à Arles. 2h40 de trajet en train devant moi. D’habitude, j’occupe mes voyages ferroviaires avec un livre, en contemplant le paysage à chaque changement de chapitre. Cette fois, je décide d’enregistrer le paysage entre la capitale de la photographie et le berceau du cinéma. Un protocole simple me vient à l’idée : diviser les 160 minutes de voyage par les 21 vues réalisables avec un film chargé dans mon panoramique. Une vue toutes les 8 minutes.
Très vite, je découvre les multiples conséquences de l’expérience. D’abord se demander à quoi vont ressembler les photos de talus ou de bosquets qui longent la voie beaucoup plus souvent que prévu. Mesurer l’écart entre le souvenir visuels des précédents voyages et ce que va donner à voir le protocole. Eprouver la frustration de ne pas pouvoir prendre en photo des paysages spectaculaires, photogéniques ou simplement signifiants car les 8 minutes fatidiques ne sont pas écoulées. Se demander comment je devrai adapter le protocole si le train prend du retard : charger un nouveau film pour attendre la destination ? stopper les prises de vue avant l’arrivée à Lyon. Je n’ai pas eu à décider : le train est arrivé à l’heure.
10:05 : 1ère photo. Gare d’Arles. J’ai la tête pleine d’images après 2 jours à visiter du matin au soir toutes les expositions des Rencontres de la Photographie. Je m’installe à gauche dans le sens de la marche, pour voir le Rhône quand le train le longera. Je me réjouis de constater que la vitre est propre.
10:08, le train passe devant une spectaculaire cimenterie entourée d’éoliennes. Première frustration : Ce n’est pas l’heure de prendre une photo
10:13 : 2ème photo
10:18 : plusieurs filets d’eau d’origine inconnue se mettent à couler sur la vitre du train depuis le toit. Ils s’évaporent en deux minutes sous l’effet conjugué de la canicule et de la vitesse du train
10:21 : 3ème photo. Arrêt en gare d’Avignon. J’ai fait le choix de ne pas changer les réglages de l’appareil pendant toute la durée du voyage. Je souris en entendant la durée d’obturation, totalement en dehors de mes plages habituelles.
10:29 : 4ème photo
10:33, encore une frustration devant une grosse usine cernée de cheminées peintes d’anneaux rouges et blancs
10:37 : 5ème photo. Le train quitte doucement la gare d’Orange
10:45 : 6ème photo. Passage sur un pont. Le contrôleur annonce l’arrivée à Bollène
10:51, le train longe une forêt de pylônes rouges et blancs. La prochaine fois, je met un film couleur et je n’applique pas de protocole.
10:53 : 7ème photo. Arrivée à Pierrelatte
11:00, le train passe au dessus du Rhône ou d’un affluent. Encore de larges anneaux rouges et blancs sur des bouées de navigation
11:01 : 8ème photo
11:02, Pour la première fois depuis le départ, le train se met à longer le Rhône. Encore 7 minutes à attendre
11:09 : 9ème photo. Montélimar. Dans les hauts parleurs sur le quai, une voix de femme annonce le départ du train.
11:05, spectaculaire vision de la centrale nucléaire de Cruas. Une tour de refroidissement sert de support à une fresque représentant un enfant jouant sur la plage. A côté des réacteurs et des tours, des éoliennes complètent ce tableau bucolique. A l’arrière-plan, une gigantesque carrière éventre la montagne ardéchoise.
11:17 : 10ème photo
11:25 : 11ème photo. L’autoroute A7 n’est pas encore saturée, bien que nous soyons un vendredi de Juillet. Je préfèrerais longer la mythique Nationale 7. La chanson éponyme de Charles Trenet me vient à l’esprit.
11:33 : 12ème photo. Gare de Valence.
11:41 : 13ème photo. Le contrôleur annonce l’arrivée à Tain l’Hermitage
11:43, le train longe un skate-park. A l’arrière-plan, les vestiges d’une tour en pierre
11:49 : 14ème photo. Le train longe suffisamment longtemps le fleuve pour que le délai de 8 minutes coïncide. J’attend ce moment depuis près de deux heures. Je prend conscience que cette image-là occupe dans ma mémoire visuelle du trajet une place disproportionnée par rapport à la réalité
11:53, l’usine Novoceram et son immense stock, suivi de la papeterie Leydier
11:55, 2 superbes chateaux d’eau industriels
11:56, des silos marqués SOMMER, avant une nouvelle usine aux cheminées peintes en rouge et blanc
11:57 : 15ème photo. Le Rhône a déjà disparu
12:05 : 16ème photo. Le train a quitté la gare du Péage de Roussillon
12:06, des réacteurs nucléaires
12:09, l’usine Prayon avec un convoi de wagons-citernes
12:13: 17ème photo
12:16, gare de Vienne. Des HLM surmontés de relais GSM
12:21 : 18ème photo. Ce n’est pas le premier tunnel, mais c’est la première fois que la 8ème minute coïncide. Une jolie fille entre aux toilettes.
12:24, pour la première fois, le train longe à la fois la N7, l’A7 et le Rhône.
12:25, l’usine de Chasse sur Rhône avec son immense dôme cylindrique
12:29 : 19ème photo
12:30, la raffinerie de Feyzin, aussi laide de jour qu’elle peut être éblouissante de nuit
12:35, le Technicentre SNCF
12:37 : 20ème photo. Arrivée en gare de Lyon Part-Dieu
12:45 : 21ème photo. Terminus du train. Tous les passagers descendent de voiture. Je n’ai pas vu le temps passer.